Le Livre
Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
Liêm a quitté le Viêt Nam pour la France en 1980, à l’âge de 18 ans. Il y est devenu ouvrier. Il n’a pas fait partie des boat people qui émurent alors le monde entier, mais il a comme eux connu l’exil, la peur et le déracinement. Sa fille dresse le portrait d’un homme loyal, intègre et digne qui lui a transmis ce qu’il avait de plus précieux : ses rêves dorés.
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À l’heure où la guerre en Ukraine force de nouveau un peuple européen à migrer et où l’on découvre que certains réfugiés sont plus égaux que d’autres, ce récit permet de saisir ce que produit concrètement l’exil dans les corps et dans les têtes. Perdre ses objets, son foyer, vivre des mois ou des années dans un camp de réfugiés où l’intimité n’existe plus, où on dépend entièrement du bon vouloir de ceux qui le gèrent pour se nourrir, se laver et s’occuper. Passer de centres d’accueil en associations et devoir mendier le droit de s’installer dans un nouveau pays. Suivre une route interminable et ne pas abandonner parce qu’on se dit qu’on ne peut pas avoir subi tout ça pour rien. Perdre son statut social, la reconnaissance de son métier, sa famille et ses amis. Ouvrir la voie en éclaireur, se débattre dans l’inconnu pour espérer, au termes de longues années, faire venir les siens grâce au « regroupement familial » dans le foyer qu’on aura réussi à bricoler. Être confronté à la condescendance, à la fausse générosité, à un racisme « bienveillant » ou violent – mais aussi, parfois, à une belle solidarité.
Émilie Tôn retrace le long périple de son père, membre d’une minorité musulmane au Viêt Nam, les Chams, passé par le Cambodge et la Thaïlande avant d’arriver en France en 1981. Au terme d’une guerre de décolonisation meurtrière, alors que des dictatures sanglantes s’installent au Viêt Nam et au Cambodge, des images de ceux qu’on a appelés les boat people émeuvent soudain le monde entier. Bernard Kouchner crée Médecins sans frontières, les États-Unis facilitent l’obtention de la carte verte, des missionnaires viennent convaincre des aspirants au droit d’asile en faisant dépendre son obtention de leur conversion. Liêm, le héros de ce livre, dont le prénom signifie « intègre », avait alors dix-huit ans et commençait tout juste à vivre.
Ce livre met au jour tout le courage, la force et la détermination qu’exigent le fait de repartir à zéro, d’apprendre une nouvelle langue, de s’installer dans un nouveau pays, de chercher un nouveau travail, de se faire de nouveaux amis et de commencer une nouvelle vie, quand on ne l’a pas choisi.
C’est aussi une immense déclaration d’amour d’une fille à son père. Cet homme profondément bon au mauvais caractère, ouvrier pendant trente ans dans une usine fabriquant des pièces automobiles, qui a toujours préféré se faire arnaquer que de se méfier des autres mais qui a su distribuer plus d’un coup de tête, loyal et fidèle à sa famille et à ses amis, n’a jamais ménagé ses efforts pour offrir le meilleur à ses filles. Quand elle est née, il a même promis à Émilie, son aînée, qu’il lui donnerait la lune et le soleil. Elle a écrit ce livre pour accuser réception, mais aussi pour dire au monde toute la dignité de son père, qui se démène pour mériter son prénom.
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