Le Livre
Des meufs comme moi sont des ovnis et tout le monde me le montre sans cesse. J’absorbe toutes les violences quotidiennes, j’encaisse les petits regards, les incompréhensions. Je prends sur moi. J’avale. La frustration s’amasse et quand c’est trop, tout ressort d’un coup et sans crier gare. Je suis incapable de dire stop parce que, paradoxalement, je sais qu'on attend de moi que j'accepte tout, que j'encaisse tout, et que je dise merci d’être arrivée jusque-là.
Aloé, femme noire, en surpoids, queer et pauvre, n’a pas toujours manqué d’estime d’elle-même. Mais à travers d’innombrables mots et gestes, elle s'est vu attribuer une place dont elle est censée se contenter. Loin d'accepter cette violence qu'il serait si simple de renvoyer, elle choisit d'aimer.
L’Amour de nous-mêmes est le premier roman d’Erika Nomeni, afroqueer, autrice-compositrice, rappeuse et DJ. Elle vit et travaille à Marseille depuis 2016.
Illustration de couverture © Maya Mihindou
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Aloé est une femme noire, en surpoids, queer et pauvre.
Elle n’a pas toujours manqué d’estime d’elle-même. Mais au gré des remarques assassines et des galères insurmontables, elle a compris.
Compris qu’en France, la présence de Blancs est un baromètre de la misère : moins il y en a, plus c'est la merde.
Compris qu’être élevée comme une femme, c’est être dressée à devenir une bonne proie pour un gentil chasseur.
Compris que l’odeur de pauvreté colle à la peau, et que la sienne ne partirait pas malgré tous ses efforts.
Compris que pour elle, « voir le côté positif des choses », c’était se dire que quand on a chez soi des cafards et des punaises de lit, le côté positif, c’est que les cafards mangent les punaises de lit.
Compris qu’elle avait tout de même un point commun avec beaucoup de Français : un problème d'alcool.
Compris que ça ne servait à rien qu’elle pleure, parce que ses larmes n’ont jamais eu d’effet.
Compris que vu sa place dans la société, on attendait d’elle qu’elle accepte tout, qu’elle encaisse tout, et qu’elle dise « merci » d’être arrivée jusque-là.
Compris que quand des Blanches sortaient avec elle, c’était souvent pour l’utiliser comme un alibi, ou un fétiche.
Compris qu’elle désirait souvent des femmes qu’elle n’obtiendrait jamais pour nourrir une spirale d’autodestruction et de sabotage.
Compris qu’elle avait trop d’amour à vendre sur le marché de l’amour, et que si elle en avait autant à vendre, c’est parce qu’elle n’en avait pas suffisamment pour elle-même.
Alors elle a commencé à dire « non ».
Et à refuser d’être entourée de violence.
En dix lettres adressées à une mystérieuse Sujja, Aloé raconte son enfance au Cameroun, son arrivée en France à l’âge de huit ans, les humiliations subies en tant que petite fille, la précarité et la misère de son adolescence, la découverte du milieu militant où elle croyait enfin être comprise avant de subir de nouvelles déconvenues. La difficulté de celles et ceux qui l’entourent à la regarder telle qu’elle est, au-delà de ce qu’ils et elles projettent sur elle. La violence du marché de la séduction, où tout se monnaie, surtout la place qu’on occupe dans la société. Mais aussi le choix qu’elle fait. Envers et contre tout, Aloé choisit l’amour, un amour des autres, ami·es, amant·es et amoureux·ses, mais aussi d’elle-même. Elle choisit un « nous » qui rassemble vraiment celles et ceux qui s’aiment.
À qui écrit-elle ? Seule la dernière lettre le révèle. Mais elle suffit à savoir qu’espérer vaut le coup.